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« L’adaptation du tourisme au changement climatique est un enjeu majeur »

Le secteur du tourisme fait aujourd’hui face à de nombreux défis. Si les problématiques de durabilité et d’engagement responsable sont au cœur des attentes des clients, la crise économique pousse dans le même temps les acteurs du tourisme à rendre le dépaysement toujours plus accessible. À cela s’ajoute une pénurie de main-d’œuvre particulièrement forte dans les métiers de l’hôtellerie et de la restauration. Comment le secteur du tourisme parvient-il à se réinventer ? Éléments de réponse avec Guillaume Cromer, Directeur du cabinet ID-Tourisme et consultant au service de la transition du tourisme.

Publié le  20/03/2024

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Avez-vous constaté un avant et un après-crise sanitaire dans le secteur du tourisme ?

Guillaume Cromer : Il y a eu beaucoup d’espoir dans un monde d’après Covid mais la révolution n’a pas eu lieu. Le secteur est aujourd’hui en phase de transformation, mais celle-ci prend du temps. Du côté des vacanciers, le dépaysement grâce au tourisme de proximité n’est pas encore une réalité. Leurs attentes sont globalement restées les mêmes qu’avant la crise sanitaire, c’est-à-dire qu’ils sont à la recherche d’un dépaysement lointain. La seule différence, c’est la crise économique qui les empêche d’effectuer de grands voyages. Le delta s’accroît entre les personnes les plus privilégiées qui continuent de voyager loin et les autres, de plus en plus nombreuses, qui ne peuvent accéder au dépaysement lointain. Cependant, même les ménages qui éprouvent de grandes difficultés financières ont toujours cette volonté de dépaysement lointain.

Lorsqu’un camping alimente plusieurs piscines en période de canicule la question se pose de l’égalité d’accès à la ressource pour les populations locales.


Quels sont les principaux enjeux auxquels est aujourd’hui confronté le secteur du Tourisme ?

G. C. : L’adaptation du tourisme au changement climatique est l’un des enjeux majeurs de l’avenir du tourisme. Les professionnels en ressentent déjà des impacts : dans le sud de la France, par exemple, les campings sont aujourd’hui moins recherchés par les vacanciers qui craignent la chaleur. Il y a par ailleurs un sujet d’image pour ces acteurs. Lorsqu’un camping alimente plusieurs piscines en période de canicule, la question se pose de l’égalité d’accès à la ressource pour les populations locales. Au-delà des aspects climatiques, les innovations digitales bouleversent le secteur. Le déploiement de l’intelligence artificielle amène les professionnels du tourisme à repenser leur manière de travailler. Enfin, d’autres enjeux émergent, tels que la question du confort thermique, de la santé et de la sécurité des salariés et des clients.

En comparaison de ses voisins européens, la France est-elle en retard sur les questions de durabilité ?

G. C. : Je ne pense pas. Bien sûr, il y a des pays qui sont culturellement en avance, à l’instar des pays scandinaves. La France est aujourd’hui dans la moyenne des pays européens. C’est-à-dire que, pour l’heure, aucun des grands acteurs n’a bouleversé son business model en raison de la crise climatique. Les initiatives les plus engagées proviennent de chefs d’entreprises qui, à titre personnel, sont mobilisés sur les questions climatiques et environnementales. D’autres cherchent à verdir l’existant et se placent aux côtés de labels qui donnent de la visibilité à leurs engagements. Cependant, je constate que les directeurs RSE siègent désormais aux Comex des grands groupes. Ils intègrent la notion de risque financier, aux côtés des directeurs financiers. Si leurs initiatives sont guidées par la réglementation, elles sont de plus en plus scrutées par les actionnaires.

Le secteur du tourisme est-il toujours en proie à une pénurie de talents ? Quels sont les métiers les plus recherchés ?

G. C. : Le secteur du tourisme est aujourd’hui confronté à une perte d’attractivité. Il faut bien avoir à l’esprit que les métiers du tourisme sont des métiers difficiles, avec des amplitudes horaires élevées, tandis que la rémunération reste moindre au regard d’autres secteurs d’activité. À l’instar de tous les autres salariés, les salariés du secteur touristique aspirent à un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. À cela s’ajoute une problématique de logements des salariés et des saisonniers au sein des zones touristiques les plus tendues. À mon sens, les acteurs publics ont un rôle à jouer afin de capter et de fidéliser les talents au sein de leur territoire.

Il y a un réel effort d’information à faire auprès des étudiants.


Les jeunes sont-ils moins attirés qu’auparavant par les métiers du tourisme ?

G. C. : Je ne pense pas. Néanmoins, il y a parfois un décalage entre le job rêvé et la réalité du terrain. En effet, lorsque je rencontre des étudiants en master de tourisme, la plupart d’entre eux rêvent de devenir chef de produit pour un tour opérateur. C’est-à-dire qu’ils souhaitent voyager pour concevoir des circuits touristiques. Cependant, la réalité des besoins en termes d’emplois est très différente. Il y a donc un réel effort d’information à faire auprès des étudiants. Par ailleurs, je constate qu’en dix ans, la formation a très peu évolué. La plupart des contenus proposés par les BTS et les écoles spécialisées sont restés inchangés depuis des années. Je pense que nous avons beaucoup de choses à réinventer.

La prise en compte de la durabilité et l’engagement des grands acteurs du tourisme peut-elle permettre d’attirer et de fidéliser les talents ?

G. C. : La question de la marque employeur est cruciale. Au-delà du niveau de rémunération, les salariés sont aujourd’hui en recherche de sens. Pour certains groupes, il y a désormais urgence à lancer une vraie réflexion en interne. Les jeunes générations ne se contentent pas de l’affichage et repèrent rapidement le green et le social washing. Lorsqu’un groupe dit qu’il s’engage à avoir un meilleur impact sur son territoire, il doit être aligné dans l’ensemble de ses actions. Cela passe notamment par la mise en place de circuits courts et la confection de plats de saison. Lorsque le salarié se sent impliqué dans un process vertueux, il est plus fidèle à son entreprise.

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