Véronique Torner, entrepreneure et Présidente de Numeum : « Le numérique est un condensé d’opportunités »

Ma rencontre avec le numérique date d’il y a plus de vingt ans. Une fois mon diplôme d’ingénieur en poche, j’ai lancé ma première entreprise, puis une seconde, en 2006, que je dirige toujours.

Dès le départ, j’ai été séduite par le champ des possibles qu’offre ce domaine en matière d’innovation et de carrière. Le numérique est un condensé d’opportunités. C’est une discipline transverse à tous les secteurs d’activité et en perpétuelle évolution. Un marché qui représente plus de 660 000 emplois en France, pèse 66,2 milliards d’euros et crée des emplois depuis treize années consécutives. C’est un écosystème d’entreprises foisonnant et multiple, que Numeum embrasse le plus largement possible. C’est un secteur qui, ces dernières années, connaît des mutations sans précédent avec l’émergence de technologies disruptives et puissantes comme l’intelligence artificielle (IA). 

En somme, le numérique est hautement attractif et pourtant, il reste trop peu connu, mal compris et souvent mal appréhendé, parce qu’il a longtemps été l’oublié du système éducatif français. Résultat : nous souffrons d’une pénurie conséquente de talents. Les recrutements sont aujourd’hui le premier frein à la croissance du secteur, alors même que nous devons passer à l’échelle supérieure sur le plan des compétences et des profils qualifiés. 

Ainsi, il y a urgence à développer une vraie culture du numérique. C’est pourquoi nous nous attelons, au sein de Numeum, à déployer des dispositifs visant à démocratiser cette discipline dès le collège. Nous avons également participé à la création de la spécialité « Numérique et sciences informatiques » (NSI), accessible aux lycéens de la filière générale. Nous travaillons à ce titre main dans la main avec l’association Talents du Numérique qui depuis deux ans déjà valorise cette spécialité auprès des jeunes. En parallèle, nous engageons une réforme dont l’objectif est d’assister les lycées professionnels dans la mise en place de formations spécifiques. 

Nos entreprises, quant à elles, ouvrent leurs portes à un maximum de jeunes : 22 000 contrats en alternance ont été signés rien qu’en 2022. Dans le même temps, nous travaillons en étroite collaboration avec France Travail au travers notamment de notre programme Numéric’Emploi, un dispositif né en région qui réunit les différents acteurs de l’insertion, les entreprises du secteur et les collectivités territoriales autour de la réinsertion professionnelle par le numérique des personnes éloignées de l’emploi. Depuis sept ans, cette initiative affiche un taux de retour à l’emploi de 80 %. 

Si la démocratisation du numérique est en marche, je suis convaincue qu’une telle démarche n’a sa place que dans un contexte « responsable » : le numérique doit s’inscrire dans une trajectoire vertueuse. Une trajectoire à impact positif sur le plan économique, mais également social, sociétal et environnemental. Sans quoi, cette discipline continuera de susciter anxiété et interrogations, sans avoir une chance de démontrer sa juste valeur. En d’autres termes, il faut inscrire le numérique dans une démarche pharmacologique, c’est-à-dire penser en même temps posologie et effets secondaires. Développer un numérique responsable est d’ailleurs l’une des priorités de mon mandat au sein de Numeum. 

Notre ambition pour un numérique responsable ? Créer une dynamique de confiance et un cadre éthique des bonnes pratiques concernant certaines problématiques fondamentales que sont la protection des données personnelles, la cybersécurité ou encore l’IA générative. Numeum opère également Planet Tech’Care, un collectif composé de 60 associations et 1 000 entreprises toutes engagées pour mettre l’innovation au service de la transition écologique, et faire du numérique un allié et non un adversaire du développement durable. Par ailleurs, nous défendons un numérique inclusif, accessible à tous. 

La féminisation du secteur est justement l’un des piliers de ce numérique inclusif. Je constate en effet que, si l’on recense désormais plus de femmes dans le secteur qu’à mes débuts, celles-ci restent minoritaires, ne représentant pas plus de 28 % des effectifs du numérique tous métiers confondus. Un chiffre qui tombe à 16 % dès lors qu’il s’agit de postes techniques. Pourquoi ? Parce que bon nombre des métiers du numérique sont scientifiques et, en France comme dans d’autres pays d’Europe, les matières scientifiques sont d’abord valorisées auprès de la gente masculine. C’est un fait avéré, une croyance ancrée dans notre culture de l’éducation, tout comme dans l’esprit des jeunes filles et de leurs familles. 

Pour ma part, je me sens à ma place dans ce secteur et je sais d’expérience que les perspectives d’évolution pour les femmes sont réelles. Il reste à déconstruire ce biais selon lequel on ne peut pas réussir dans le numérique quand on est une femme. En tant que première femme à la tête de Numeum, je m’engage à porter cette voix. D’autant plus que cette discipline transforme le monde et soulève des débats de société auxquels nous devons toutes et tous prendre part, sous peine d’aboutir à un numérique appauvri et excluant. 

Afin d’inverser la tendance, nous contribuons activement à de nombreuses initiatives telles que la fondation Femmes@Numérique, ou Tech Pour Toutes, portée par la fondation de l’Inria. De même, Numeum mène plusieurs actions à l’instar de notre nouveau programme pour la reconversion des femmes dans le numérique, destiné aux candidates mais aussi aux recruteurs, à qui nous donnons des clés de communication pour s’adresser aux talents féminins et leur donner envie de les rejoindre. 

Les enjeux qui entourent le numérique sont donc complexes et pluriels, et la révolution numérique n’en est qu’à ses débuts. Charge à nous de l’accompagner à l’aide de modèles porteurs de nos valeurs. Charge à nous de faire du numérique responsable le socle de référence d’un secteur toujours plus engagé et ouvert à la diversité des compétences et des talents.