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« Quel que soit le secteur ou le métier, nous nous posons tous des questions sur notre temps de travail »
Après « Work in progress » en 2021 et « Why do we even work ? » en 2022, Le Réalisateur Samuel Durand livre le troisième volet d'une série documentaire consacrée aux transformations du monde du travail. Intitulé « Time to work », ce film explore la question du rapport au temps de travail à travers différentes analyses et expériences concrètes. Rencontre.
Publié le 11/05/2023
Après vos deux premiers documentaires sur le monde du travail, pourquoi avoir choisi de vous intéresser à la question du temps de travail ?
L'angle des trois documentaires « Work in progress », c'est de répondre à des questions qui sont à la fois philosophiques et opérationnelles, illustrées de bonnes pratiques déjà en place ailleurs. Dans le documentaire précédent, je répondais à la question « pourquoi travaillons-nous ? ». Cette fois, la question est : « est-ce qu'on travaille trop ? ».
La réponse n'est pas immédiate, nous avons besoin de sociologues et d'anthropologues pour y répondre. Et en même temps, c'est une question très concrète, avec des réponses comme la semaine de 4 jours ou encore le modèle scandinave. Il y avait cette envie de poursuivre ces questionnements à deux niveaux, philosophique d’une part, et très concret sur des concepts managériaux et organisationnels d’autre part.
Je ne trouvais pas l'angle idéal, jusqu'à ce que ce sujet du temps de travail me vienne en tête, et que je réalise qu'il concerne tout le monde : quel que soit le secteur ou le métier, nous nous interrogeons tous sur notre temps de travail. Et nous avons forcément un avis sur la question, et surtout, les réponses sont très personnelles. C'est à la fois un enjeu collectif, comme le montrent les débats actuels, et quelque chose de très personnel.
Entre le modèle « intégration vie-travail », et celui de la semaine de 4 jours, quel est celui qui vous paraît davantage extensible à des secteurs professionnels différents ?
J'ai le sentiment qu'il n'y a pas un modèle plus extensible qu'un autre, dans le sens où ce sont des formats qui peuvent fonctionner pour tout type de secteur et de métier. Chez LDLC [groupe français de commerce informatique et high-tech, NDLR.] qui a mis en place la semaine de 4 jours, on le voit puisqu'ils l'ont appliquée à trois catégories de métiers : les logisticiens, en boutique et dans les bureaux.
D'ailleurs, lors de la projection du film en avant-première, quand on a questionné le public sur le modèle qui leur correspondrait le plus, on était sur du 50/50. Finalement, les gens réagissent très personnellement et très différemment à des concepts qui sont les mêmes. J'ai le sentiment que la semaine de 4 jours peut fonctionner partout ; tout comme le fait de ne pas faire de distinction entre le personnel et le professionnel pratiqué chez Patagonia [entreprise californienne de vêtements techniques de sports de montagne et de surf, NDLR.]
Lire aussi : « Sur 4 jours, les équipes travaillent moins mais mieux ! » Camille Darde, DRH d’Elmy.
Qu’est-ce que la réduction du temps de travail implique en matière de réorganisation ?
La réduction du temps de travail nécessite de gagner en polyvalence. Chez LDLC, en boutique, ils ont réussi à gagner en productivité et même à ouvrir un jour de plus, tout simplement en augmentant la polyvalence de chacun. Il y avait trois types de job : les conseillers vente, les personnes au SAV et celles au back-office, qui gèrent l'arrière-boutique.
En soulignant qu'il y avait plein de temps morts dans la journée, les collaborateurs se sont dits capables d'être formés pour exercer les trois types de métiers au sein de la boutique. Ils ont ajouté qu’avec moins de temps morts, cela devenait plus enrichissant pour eux. Je trouve que c'est un bon exemple, car si la décision de la semaine de 4 jours est venue du management, la façon dont elle est mise en œuvre et les gains de productivité témoignent de bon sens sur le terrain.
Parmi les nombreux témoignages que vous avez recueillis dans votre documentaire, est-ce qu'il y en a un qui vous a particulièrement surpris ?
J'ai été fasciné par le témoignage de l'anthropologue britannique James Suzman. J'ai beaucoup aimé sa prise de recul et sa comparaison avec les chasseurs-cueilleurs. Il initie une réflexion qui peut être liée à une réduction du travail et de la consommation, et à une autre approche de nos vies en général. Pour revenir sur le concept de travail, ce qui m'a le plus surpris, c'est l'approche des pays scandinaves, où il y a une chasse au présentéisme. Ils assument complètement le fait que si l'entreprise encourage à avoir une franche séparation entre vie professionnelle et vie personnelle, et à avoir beaucoup de temps pour soi, pour sa famille et ses proches en terminant sa journée de travail à 16 h, ce n'est pas parce qu'il y a une vision paternaliste de l'entreprise qui voudrait que l'entreprise apporte le bien-être à chacun, mais parce que c’est la meilleure façon qu'ils ont trouvée d'aider les gens à être productifs et créatifs au travail, de faire en sorte qu'ils soient reposés, heureux et équilibrés. L'idée qui résume cette conception, c'est « work smart, instead of hard » (« travailler intelligemment plutôt que durement »), et ce qu'ils appellent « lagom », mot suédois pour dire « ni trop ni trop peu ». C'est cet équilibre de travail qui paraît être de bon sens.
« Toutes les mesures d'innovation managériale et organisationnelle ne sont pas bonnes à prendre, si elles ne sont pas accompagnées d'un rapport de confiance construit en amont. »
La notion de confiance traverse l'ensemble du documentaire. Est-ce que cela implique une transformation de la culture managériale ?
Absolument, et je pense que si les transformations que nous mettons en avant dans le documentaire fonctionnent, c'est parce qu'elles sont mises en place dans la confiance. Par exemple, ce qui est exceptionnel chez LDLC, c'est la façon dont la semaine de 4 jours a été mise en place. Faire confiance, dire « prenez plusieurs semaines pour tester, pour voir comment ça fonctionne chez vous », c'est ça qui est précieux.
Toutes les mesures d'innovation managériale et organisationnelle ne sont pas bonnes à prendre si elles ne sont pas accompagnées d'un rapport de confiance construit en amont. C'est effectivement un vrai fil rouge. On ne peut parler de semaine de 4 jours ou de télétravail, d'autonomisation, de responsabilisation, d'enjeux de mission ou de sentiment d'utilité, que quand un climat de confiance et un contrat de confiance moral ont été noués, au-delà du contrat de travail. C'est cela qui donne de la valeur à toutes ces innovations.
En cela, l'expérience de Buurtzorg, une entreprise néerlandaise de soins à domicile, est très intéressante…
Oui, et c'est d'autant plus important pour un métier comme celui de soignant, qui souffre de pénurie dans le monde entier. Cela montre que l'on peut redonner énormément d'attractivité à ce métier-là, tout simplement en laissant faire aux soignants ce pour quoi ils ont été formés - prodiguer des soins -, plutôt que de leur demander de remplir des papiers et de faire un reporting d'absolument toutes les tâches réalisées.
* Buurtzorg est une entreprise de soins à domicile hollandaise qui a développé une organisation innovante, notamment en réduisant les activités d'enregistrement des actes, et en mettant l'accent sur la responsabilité des soignants.
Envisagez-vous de réaliser d'autres documentaires sur le monde du travail ?
Oui, c'est certain, nous travaillons déjà sur d'autres thématiques, toujours avec un angle d'approche positif dans la narration, toujours sur des bonnes pratiques qui existent déjà, mais aussi de la prospective et des questions philosophiques. Nous allons simplement changer de format, pour apporter aussi de la nouveauté dans ce que l'on fait. Mais ce qui va m'occuper les prochains mois, c'est surtout la diffusion de ce documentaire, avec des projections dans des écoles et des entreprises. Nous espérons avoir des conversations structurantes sur le travail avec des comités de direction, des directions des ressources humaines, des managers et de nombreux salariés.
« Time to work », de Samuel Durand, est disponible sur Spicee et sur Vimeo.
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Jérôme Fourquet, directeur du département [...]
La question est volontairement provocante mais dit bien la transformation fondamentale en cours dans le monde de l’entreprise. Changement du rapport au travail, diffusion du télétravail, aspirations au sens et à l’utilité, priorité à l’individualisme et à l’épanouissement personnel, refus de la carrière linéaire, modification du rapport de force employeurs-employés, accélération technologique : l’entreprise est fragilisée dans son espace-temps (tout le monde ne travaille plus en même temps, dans le même lieu) et percutée de tous côtés dans sa forme traditionnelle.
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