Opinions
Arnaud Zegierman, auteur*, sociologue, co-fondateur de l’institut Viavoice : « Le travail n’est plus le principal élément structurant de la vie »
Le rapport au travail serait en train de changer, porté par une jeunesse en quête de sens. C’est un nouveau marronnier complétement faux qui finalement donne l’image de la jeunesse que l’on aimerait avoir : une jeunesse qui remue les plus vieux et parle de valeurs.
Publié le 01/09/2023
Les combats attribués à la jeunesse relèvent souvent du fantasme des générations précédentes qui souhaiteraient les mener par procuration pour ne plus avoir à y penser. Bien sûr, ces jeunes-là existent mais ce sont principalement des urbains, des CSP + et si on regarde la jeunesse de manière globale en France, elle recherche avant tout, en réalité, un travail bien rémunéré et intéressant. Les jeunes ont les mêmes contraintes que nous tous. Ils ont besoin de payer un loyer, de se déplacer, d’obtenir un crédit, de se nourrir. En fait, l’idée d’une jeunesse française qui formerait un groupe homogène relève de l’illusion.
Dans les études quotidiennes que nous réalisons, si l’on prend la quasi-totalité des sujets de société, les différences de perceptions sont bien plus fortes selon les catégories sociales que selon les générations. De plus, si on confronte leurs réponses avec celles des sondés des années 1970, les jeunes des « nouvelles années 1920 » se décrivent globalement moins heureux (-12 points), en perte d’idéal par rapport à 1977 (-40 points) et accompagnés d’un sentiment diffus d’hériter de beaucoup de difficultés notamment liées au climat ou au sexisme.
Selon leurs aînés, les jeunes actifs auraient perdu le goût de l’effort, d’où cette accumulation de métiers en tension qui est bien une réalité, comme la pénurie de garçons de café. Le métier de garçon de café, parlons-en. C’est un métier difficile où les journées sont longues, mais la généralisation du paiement en CB a eu un impact nettement plus fort que l’évolution des mentalités en faisant disparaitre une grande partie des pourboires et donc une part conséquente de leurs rémunérations. La perte du goût de l’effort qui frapperait la jeunesse est pour moi un faux débat. J’ai 51 ans et on disait déjà cela de nous quand j’étais ado. Dès les années 1980, nous avons pu assister à une volonté de rééquilibrage entre vie professionnelle et vie personnelle. Les grandes vagues de chômage de ces années, la volonté de voir grandir ses enfants, de disposer d’un véritable équilibre de vie n’est pas une nouveauté du tout. Nous nous sommes recentrés sur notre vie personnelle. Aujourd’hui, ce recentrage est admis par l’ensemble de la société.
Le travail n’est plus le principal élément structurant de la vie. Appeler cela de la flemme, de la paresse, c’est une erreur. Un amalgame entre une vision morale et une analyse sociologique. Vous avez ainsi une version de gauche qui dit les jeunes salariés ne veulent plus aller travailler parce que c’est devenu trop dur et une version de droite qui y voit la perte de la valeur travail. En réalité, c’est faux. Nous avons une étude où il apparait que le travail est devenu aujourd’hui l’espace où l’on rencontre le plus de gens différents. C’est du lien social, un lieu de socialisation et c’est important pour tout le monde. Ainsi, selon nos études, 63 % des actifs déclarent que leur travail contribue à leur bien-être et seulement 36 % d’entre eux arrêteraient de travailler s’ils n’avaient pas besoin d’argent.
La quête de sens n’est pas un leurre mais il faut la nuancer. Il s’agit davantage d’une dynamique globale de notre société que d’une vision personnelle et singulière des plus jeunes. Il existe bien un arbitrage entre la vie professionnelle et la vie personnelle, mais ce n’est pas nouveau. Ces valeurs ne sont pas le fait de la jeunesse mais de la société tout entière. Nous avons cherché à évaluer l’importance des valeurs et nous avons mesuré que 25 % des Français préfèreraient ne pas travailler au sein d'une entreprise dont l'impact social et environnemental n'est pas en phase avec leurs valeurs. Ce taux monte à 38 % chez les 18-24 ans, qui ne sont pas encore forcément dans la vie professionnelle, mais retombe quasiment au même niveau que le reste de la population (28 %) auprès des 25-34 ans, soit les jeunes qui doivent aussi gagner leur vie.
On s’aperçoit que la population est majoritairement nuancée et souhaite contribuer à améliorer les choses sans sectarisme : 39 % déclarent vouloir changer les choses de l’intérieur. Pour les jeunes actifs, la conception du travail sera bien différente selon la possibilité de pouvoir en obtenir un facilement.
Sur le climat, ceux qui ont le plus changé leurs pratiques sont les retraités. En ce qui concerne les jeunes, sur tous les sujets environnementaux liés à l’entreprise, on observe une nette différence de point de vue entre la classe des 18-24 ans et celle des 25-34. Les plus jeunes sont dans l’idéologie la plus radicale contrairement à la génération juste au-dessus. Pourquoi ? Parce que leurs souhaits se trouvent confrontés à leurs contraintes : des enfants, des crédits, ce qui change beaucoup les choses.
Aux États-Unis, « la grande démission » ferait frissonner l’économie : c’est un vrai sujet outre-Atlantique où l’on a dénombré 24 millions de démissions entre avril et septembre 2021. Ce sont des gens qui sont sortis de l’emploi mais il faut savoir que dans ce pays il est courant de cumuler plusieurs jobs à la fois et que les conditions de travail sont beaucoup plus dures qu’en Europe.
Comme nous sommes les champions du diagnostic rapide, beaucoup ont vu aux États-Unis ce qui allait se passer ici. En réalité, il n’y a aucune similitude possible avec notre contexte. Ici, le quasi plein emploi des cadres et le dynamisme du marché du travail coïncident avec des départs à la retraite nombreux auxquels s’ajoutent les effets de la dénatalité des années 1990. Il y a donc à la fois beaucoup moins de jeunes sur le marché du travail et un besoin croissant de jeunes. Et on assiste à une inversion du rapport de forces en défaveur des employeurs.
D’ailleurs, si l’on regarde la courbe de l’évolution du nombre de retraités dans notre pays, on comprend que cette pénurie de talents est d’origine démographique et qu’elle risque de durer. C’est clair, les jeunes diplômés, ont le choix. Ils ont la chance de pouvoir sélectionner un métier et d’en changer souvent. Dans leurs attentes, l’intérêt du poste et la proximité géographique arrivent en tête. L’environnement n’arrive qu’en 7e position. Tout l’enjeu pour un chef d’entreprise est de les garder. Il faut fidéliser ses salariés et ne plus considérer qu’à partir de 45 ans ils sont vieux professionnellement et qu’il est inutile d’investir dans leur reconversion.
Pour répondre aux besoins de main d’œuvre, je ne vois que deux options possibles : l’intelligence artificielle et l’appel à l’immigration. Dans le premier cas, la question qui se pose consiste à savoir si ce sera subi ou choisi. Et l’IA ne sera pas forcément disponible sur les secteurs en tension. Quant à l’immigration, c’est un euphémisme de dire que l’on ne débat pas sur les modalités pour que d’éventuelles nouvelles vagues se déroulent bien.
*« Les Français, ces incompris », de Thierry Keller, Blaise Mao et Arnaud Zegierman, éditions de L’Aube, 2023.
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