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Les « Journées Engagées » de France travail : retour sur la 1ere édition consacrée aux stéréotypes de genres dans l’emploi

Mardi 5 mars, à l’Université du management, une table ronde était organisée par France Travail autour d’un sujet majeur : Comment lutter contre les stéréotypes de genres dans l’emploi ?

Publié le  06/03/2024

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De gauche à droite : Lucie Russeil, Patricia Lecocq, Paul Bazin, Fanny Serre, Haude Rivoal et Laura-Jane Gautier.

 

Un état des lieux préoccupant 

Initiées par France Travail, les Journées engagées visent à faire naître des échanges sur des thématiques sociétales en lien avec l’emploi et la formation professionnelle. Pleinement engagé dans le refus de toutes les discriminations dans l’emploi, France Travail a souhaité placer la première édition sous le signe d’actions déjà mises en œuvre et susceptibles d’être imitées ou déployées plus largement. Animée par la journaliste et auteure Laura-Jane Gautier, la table ronde débute par un tableau dressé par Paul Bazin, Directeur général délégué de France Travail, sur les grandes tendances du marché de l’emploi. Il souligne tout d’abord trois constats globaux, portant sur les personnes inscrites à France Travail : les femmes sont légèrement moins nombreuses que les hommes.

En revanche, la part de femmes exerçant une activité professionnelle tout en étant inscrites à France Travail est plus importante que celle des hommes. Parmi tous les demandeurs d’emploi diplômés d’un Bac +2, les femmes représentent plus de la moitié, et cette proportion augmente de manière continue depuis près de 30 ans. Une bonne nouvelle à première vue, mais tempérée par Paul Bazin : « Cela devrait signifier de meilleures chances d’accès à l’emploi mais le phénomène du plafond de verre comme celui du plancher collant persistent. Ce constat est donc à nuancer ». Il livre ensuite d’autres informations issues d’études et d’analyses menées par France Travail, montrant à quel point les stéréotypes de genres sont tenaces. La majorité des femmes inscrites recherchent des métiers dans des secteurs connotés « féminins » car l’effectif des femmes y est supérieur à 70 % : services à la personne et à la collectivité, secrétariat et administration, santé. Les femmes représentent l’écrasante majorité des assistantes maternelles, aides ménagères, aides-soignantes et infirmières, autant de métiers qui attirent peu de candidatures masculines. De même, seule une minorité de femmes choisissent des métiers avec une surreprésentation d’hommes : BTP et gros œuvre, transports terrestres, sécurité privée.

Le faible nombre de candidatures pour des métiers non mixtes s’explique par « l’effet frontière », apparaissant lorsque plus de 60 % de l’effectif d’un métier est masculin ou féminin. En conséquence, des métiers en tension se privent d’un gisement de talents, tandis que la perspective du plein-emploi s’éloigne. Pour les femmes, c’est la double peine : non seulement elles éprouvent de grandes difficultés à obtenir des postes de management mais elles sont, de plus, réduites à un nombre limité de métiers. 
 

Dire qu’une entreprise est masculine, cela veut dire qu’il existe des structures qui favorisent les hommes sur un certain nombre de postes, notamment ceux de cadres.

Haude Rivoal
Sociologue

Un combat nécessaire et utile

Lutter contre les stéréotypes de genre aurait des effets positifs aussi bien sur le plan social que sur l’emploi et sur la performance économique, comme en attestent plusieurs études1. Pour Paul Bazin, cette démarche relève avant tout de la justice sociale, « à laquelle nous sommes tout particulièrement attachés chez France Travail ». Il rappelle à cet effet les actions menées en faveur de la mixité des métiers et de l’insertion professionnelle avec des associations partenaires, ainsi que pour promouvoir l’entrepreneuriat au féminin. Moins d’un tiers des entreprises en France sont créées par des femmes, et le plus souvent dans des secteurs « féminisés » (habillement, textile, blanchisserie-teinturerie, coiffure, soins de beauté, action sociale).

Comment expliquer les différences d’approches des métiers entre les femmes et les hommes ? La sociologue Haude Rivoal, associée au CNAM-CEET (Centre d'Études sur l'Emploi et le Travail) et au CRESPPA (Centre de Recherches sociologiques et politiques de Paris) explique pourquoi le travail est souvent pensé au masculin : « Dire qu’une entreprise est masculine, cela veut dire qu’il existe des structures qui favorisent les hommes sur un certain nombre de postes, notamment ceux de cadres. Pour ceux-ci, la disponibilité temporelle et géographique n’est possible bien souvent qu’à la condition de se délester du travail domestique et parental. Quant aux  postes de la haute administration, ils requièrent de passer des concours comme celui de l’ENA, qui valorisent un rapport stratégique au diplôme et une forme de confiance en soi, autant de sujets sur lesquels les garçons sont majoritairement favorisés ». Les stéréotypes créés dès l’enfance se prolongent tout au long du parcours scolaire et de la carrière.
 

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Lever les freins à la mixité professionnelle 

Certains secteurs peinent à attirer des candidates. Patricia Lecocq, Présidente du Cercle InterElles et Déléguée régionale chez Orange évoque « une difficulté particulièrement sensible de recruter des femmes et de les faire évoluer dans des entreprises scientifiques et technologiques. C’est d’ailleurs à cette situation que s’attaque le Cercle InterElles2 qui regroupe une quinzaine d’entreprises, autour de groupes de travail ».

De son côté Fanny Serre, Directrice générale adjointe de Social Builder3, considère le fait d’accompagner des femmes vers les métiers du numérique comme un cheval de Troie : « Les femmes y sont sous-représentées, alors que ces métiers sont en tension et offrent de très fortes opportunités. Par ailleurs, les compétences numériques sont présentes dans des métiers et des secteurs toujours plus nombreux. Si les femmes se laissent distancer sur ce sujet, elles se feront distancer sur le marché du travail en général

Aussi, pour essayer d’atteindre l’égalité professionnelle, Social Builder souhaite renforcer la sensibilisation aux stéréotypes de genre et aux inégalités qu’ils engendrent. Avec l’objectif de changer les représentations qu’ont les femmes des métiers du numérique mais aussi les représentations sur les femmes, l’association veut les accompagner pour leur donner confiance en elles et influencer les pratiques d’inclusion dans les organisations.
 

Il faudrait faire parler de ces métiers par celles qui les exercent pour proposer des rôles modèles.

Paul Bazin
Directeur général délégué de France Travail

La formation, un levier clé d’une meilleure égalité

Les études réalisées par France Travail montrent que les formations suivies par les demandeuses d’emploi se concentrent en priorité sur les secteurs de la santé, des services et commerces de proximité, et de l’action sociale. Quant aux demandeurs d’emplois, ils choisissent des formations dans le transport, la manutention et la prévention sécurité. Pour éviter une concentration dans des secteurs « genrés », il faudrait travailler autour de la représentation de ces métiers.

Paul Bazin exprime son engagement en faveur du développement de leur attractivité avec des entreprises partenaires. « Il faudrait faire parler de ces métiers par celles qui les exercent pour proposer des rôles modèles. En vue de lever les freins, nous avons également une douzaine de semaines thématiques tout au long de l’année. Nous travaillons avec les secteurs d’activité en tension. Et lorsqu’il s’agit d’un métier très masculin, nous portons une attention particulière en direction des demandeuses d’emploi, comme lors de la semaine du numérique ou du BTP. Et ça fonctionne. »

À titre d’exemple, il cite l’industrie, qui a pris le sujet de la mixité professionnelle à bras le corps depuis plusieurs années. Résultat : 42 % des candidatures dans les métiers de l’industrie sont le fait de demandeuses d’emploi. France Travail collabore régulièrement avec des associations comme Elles Bougent, InterElles ou Social Builder et forme également ses conseillers et conseillères à la promotion de la mixité des emplois.  

 

Chiffres clés

 

+40 600 demandeuses d’emploi formées par Social Builder aux compétences du numérique et au leadership
400 actions par an menées par l’association Elles Bougent à destination des scolaires pour attirer les filles vers les métiers du transport, de l’industrie et de l’énergie
+35 boîtes à outils proposées par le Cercle InterElles pour rendre les espaces de travail plus inclusifs
 

Les conseillers de France Travail ont ensuite un rôle clé dans la déconstruction des stéréotypes et la proposition de formations adéquates.

Fanny Serre
Directrice générale adjointe de Social Builder

Des actions concrètes pour des secteurs en tension  

Afin d’attirer plus de filles vers les filières technologiques et scientifiques, le Cercle InterElles se rend dans les écoles, organise des visites virtuelles d’établissements supérieurs et accueille au sein des entreprises, des jeunes filles pour une découverte in situ. Pour Patricia Lecocq, c’est un moyen « d’éveiller peu à peu l’intérêt des jeunes filles. Il faut ensuite être particulièrement attentif lors de la réception de CV de candidates ».

Le cercle InterElles a par ailleurs, créé un module de trois heures sur les biais de genre dans l’Intelligence artificielle (IA), mis gratuitement à disposition des entreprises et des salariés. Chez Social Builder qui travaille avec des femmes actives souhaitant se reconvertir aux métiers du numérique, l’accent est mis sur l’audace. « Nous proposons des forums « Osez la Tech » dont France Travail est l’un des premiers prescripteurs. A la fin de la journée, lorsque les participantes ont écouté les témoignages de femmes qui ont réalisé une reconversion, elles ont un premier déclic et commencent à se projeter. Les conseillers de France Travail ont ensuite un rôle clé dans la déconstruction des stéréotypes et la proposition de formations adéquates », explique Fanny Serre. Haude Rivoal abonde dans son sens : « Toutes les études sur la féminisation des métiers masculins montrent à quel point il est important que tout l’écosystème soit formé à la déconstruction des stéréotypes ». Et Fanny Serre de rebondir : « Pour lutter contre les biais, nous travaillons effectivement sur l’idée d’écosystème, via notamment un travail en synergie avec les conseillers de France Travail. »

Social Builder accompagne les femmes souhaitant se reconvertir aux métiers du numérique avec du coaching personnel et collectif et avec du mentorat, et forme en outre les formateurs à des pédagogies inclusives. Comme le souligne Haude Rivoal, la formation reste l’élément principal pour sensibiliser les femmes, les managers et l’ensemble des partenaires. « Dans des secteurs très masculins, il faudrait en plus, créer des « safe spaces » pour les femmes et appliquer une tolérance zéro pour les comportements sexistes ».

Plus globalement, la majorité des démarches menées au sein de ces associations repose sur un maître mot : la coopération. Pour Paul Bazin, « elle passe par une prise de conscience en interne de chaque organisation, qui doit réinterroger ses propres stéréotypes ». Il en profite pour rappeler que chez France Travail, l’index égalité femmes-hommes est de 99/100. 
 

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Un témoignage emblématique

Pour conclure la table ronde en montrant toute la pertinence d’une action conjointe entre France Travail et ses partenaires, la parole est laissée à Lucie Russeil, participante au programme DéClics Numériques4 by Diversidays5, webmaster et conceptrice web. À 42 ans, elle vient de décrocher son diplôme, un titre RNCP6 de Concepteur Designer UW UI après une reconversion réussie : « C’est grâce à mon ambassadrice numérique France Travail que j’ai eu connaissance de Diversidays, et que j’ai obtenu une aide individuelle à la formation. Elle m’a aussi indiqué que j’avais le droit d’être payée pour me reconvertir, avec le droit d’option TH (travailleur handicapé) étant donné que j’ai une reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. »

Aujourd’hui, Lucie Russeil se dit fière d’avoir obtenu un diplôme 20 ans après avoir quitté les bancs de l’école avec un bac pro. Elle avoue cependant une difficulté : « Je me suis sentie illégitime de postuler à un emploi car je suis une femme de 42 ans, ayant un handicap invisible, en reconversion récente, débutante dans ma nouvelle fonction, et génération X. » C’est la raison pour laquelle elle a décidé de créer son entreprise. Un choix qui l’amène à vivre une situation d’inconfort alors qu’elle vient juste de se lancer : « Je ne perçois aucune aide car je suis pacsée à quelqu’un qui perçoit un salaire supérieur au plafond d’un foyer fiscal composé de deux personnes. Ça veut dire que je dépends financièrement de lui et en tant que femme, c’est difficile à accepter et essentiel de l’évoquer à l’occasion des journées engagées et de la place de la femme dans la société. »  

Son témoignage conduit Paul Bazin à ajouter un nouveau chantier à ceux déjà amorcés : « Nous devons réfléchir à la façon de mieux accompagner les créatrices d’entreprises, aussi bien sur leur projet que pour parer à leurs difficultés économiques et psychologiques et en prenant plus en compte la dimension de dépendance à un conjoint ».
Une nouvelle preuve que même si le chemin de l’égalité est encore long, la prise de conscience est déjà tangible. 

1- rapport de la BCE paru en mars 2021 et enquête mondiale sur les entreprises de l’OIT de mai 2019
2-Cercle InterElles : il regroupe les réseaux de 15 entreprises, en faveur de la mixité et de l’égalité professionnelle dans les secteurs scientifiques et technologiques 
3- Social Builder : une association experte de l’accompagnement et de l’inclusion des femmes dans le numérique
4- DéClics Numériques : un programme en ligne pour la reconversion professionnelle vers les métiers du numérique, organisé par Diversidays
5- Diversidays : une association nationale d’égalité des chances en faveur de l’inclusion numérique. Elle a signé un partenariat avec France Travail pour faire de DéClics Numériques le catalyseur de la reconversion professionnelle vers les métiers du numérique. 
 

Avec France Travail, les journées nationales et internationales de lutte deviennent la preuve de la mobilisation pour l'égalité professionnelle.

 

Les « journées engagées » de France Travail sont l'occasion d'échanger sur de grandes thématiques de la société en lien avec l'emploi et la formation professionnelle.
France Travail s’engage à travers des prises de parole d’experts, des débats et différentes actions visibles, participant directement au débat sociétal sur son champ d’expertise.

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