Opinions

« Je crois beaucoup à l’introduction d’une forme de personnalisation dans nos organisations de travail. »

À la suite de l’avènement massif du télétravail, des études récentes pointent une situation contradictoire, entre demandes de retour au bureau et refus du « tout présentiel ». Au croisement entre ces tendances, Jérôme Friteau Directeur des relations humaines et de la transformation à l’Assurance retraite et animateur du réseau des Directeurs des ressources humaines de la Caisse d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) croit en une forme de personnalisation de nos organisations de travail.

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En France, le télétravail a débuté avec un peu de retard comparativement à la situation outre-Atlantique, par exemple. Selon moi, c’est symptomatique d’un système managérial et d’une culture du présentéisme extrêmement forte. La crise Covid a constitué à cet égard une véritable accélération. Au-delà du désastre sanitaire, on peut parler de progrès social. Les entreprises françaises ont en effet été rassurées par ce mode de fonctionnement qui a largement contribué à maintenir l’activité économique. D’importantes structures se sont même félicitées de leur niveau de performance durant la crise.

Si tous les métiers ne sont pas éligibles au télétravail, nous avons constaté une sorte d’euphorie post-sanitaire qui s’est manifestée - comme souvent pour ce genre de tendance -, par un grand coup de balancier en faveur du « full remote » (total télétravail), en particulier dans le secteur de la tech. Aujourd’hui, nous assistons au revers de la médaille : de nombreux employeurs pensent que le télétravail ne fonctionne pas, qu’il occasionne la perte des collectifs et de la productivité. Et, de fait, un grand coup de balancier est en cours dans l’autre sens.

Ayant initié le télétravail en 2014 pour les salariés de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), je suis en mesure de partager un retour d’expérience susceptible d’intéresser d’autres entreprises. Nous avons, en effet, opté pour un télétravail prudent dans son déploiement, dans son accompagnement et dans sa voilure, ce qui se révèle plus adapté à un service public comme le nôtre que pour un Gafam. Nous comptions déjà 35 % de télétravail avant la crise sanitaire en Île-de-France et 15 % dans la France entière, pour les salariés de la CNAV et des CARSAT. Nous sommes désormais à 85 % sur la France entière. Historiquement, nous proposions un jour en distanciel par semaine et deux jours pour les employés en back office (service d’appui). Récemment, j’ai négocié un nouveau protocole avec les instances représentatives du personnel sur le principe de cent jours de télétravail possibles par an, avec des dérogations ciblées pour trois jours par semaine. L’accord prévoit également une option de réversibilité, utilisable par les salariés mais aussi par leurs managers, y compris de manière temporaire, en cas de difficulté à concilier le télétravail avec les enjeux professionnels.

 

Je crois beaucoup à l’introduction d’une forme de personnalisation dans nos organisations de travail. Cela me semble indispensable pour tenir compte de temps et de rythmes de vie très différents, entre des parents de jeunes enfants, des femmes enceintes pour préserver leur santé avant leur congé maternité, des seniors susceptibles de se fatiguer dans les transports en commun, des personnes en situation de handicap, des aidants familiaux… Il est important que les grandes entreprises développent des organisations flexibles pour conserver leur attractivité face à un fort besoin de liberté exprimé par les salariés, dont les plus jeunes demeurent très attirés par l’entrepreneuriat.

Selon moi, le télétravail doit être raisonné. Il produit de nombreux effets positifs, tels qu’une meilleure conciliation entre vie personnelle et vie professionnelle, une réduction de la fatigue (surtout pour les Franciliens, contraints de jongler entre temps de transport en commun et impératifs de sorties d’école, par exemple). Le télétravail favorise également le management par la confiance et l’autonomie, au contraire d’un management par les horaires et le présentéisme permanent, emblématique de nos organisations tayloristes.

Dans un service public comme le nôtre, il nous faut toutefois garder une présence dans les territoires, avec des rendez-vous physiques, compte tenu d’une fracture numérique toujours d’actualité. C’est la raison pour laquelle j’insiste sur la notion d’équilibre. Nous ne devons pas créer de fossé entre les salariés susceptibles de télétravailler et les autres, pour une question de justice sociale, mais aussi de fonctionnement des collectifs. Aussi, nous maintenons du présentiel pour tous. Cela me semble essentiel de conserver le lien social et la capacité de travailler ensemble. La créativité collective se pratique beaucoup mieux in situ qu’en visio. Nous avons besoin de temps communs, générateurs d’informel, de réunions spontanées autour de la machine à café, de pauses déjeuner ensemble… Autant de moments qui contribuent à consolider un sentiment d’appartenance à une équipe, à une entreprise. C’est pourquoi je soutiens un équilibre autour de deux ou trois jours maximums de télétravail par semaine pour conserver un minimum de deux à trois jours de présence sur site. Et cela, en gardant à l’esprit le principe de l’individualisation transparente et négociée dans un accord d’entreprise, pour ne pas tomber dans le gré à gré.

 

Pour mener à bien l’ensemble de cette démarche, je sais pouvoir compter sur les managers. Dès 2015, nous avions imaginé à leur intention un dispositif appelé « Souplesse organisationnelle » sur le principe d’une vingtaine de jours en distanciel par an. Ces derniers temps, je les incite à desserrer l’étau sur la question du temps et à éviter de demander du reporting (des comptes rendus) sur la journée ou la semaine des télétravailleurs. Ils sont également invités à fixer un management par objectifs et non plus à la journée ou à la semaine. Je leur demande de lâcher prise, de promouvoir l’équité plutôt que l’égalité de traitement. Car les gens ne sont pas égaux, comme l’ont montré les différences d’appréhension du confinement, entre ceux qui pouvaient télétravailler avec un bureau dédié et une bonne connexion, et d’autres devant partager une pièce avec de jeunes enfants, par exemple.

Nous proposons aux managers des formations dédiées sur le management hybride et par objectifs, ainsi que sur la responsabilisation. C’est d’autant plus important que le télétravail n’est pas le seul dispositif sur lequel nous sommes montés en puissance, nous testons également la semaine de quatre jours depuis février 2022, et nous avons flexibilisé en 2018 les horaires de travail sur des plages allant de 7 h à 19 h 30, voire un peu au-delà pour des cadres dirigeants. Nous testons enfin depuis près d’un an un élargissement du forfait-jours à l’ensemble des managers et cadres autonomes volontaires. C’est une petite révolution pour les salariés comme pour les managers. Je suis convaincu que ces évolutions font partie des atouts d’une marque employeur, chaque situation de salarié, permanente ou temporaire, trouvant son rythme et sa solution de conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Dans une période de tension du marché de l’emploi, il ne suffit plus de proposer des bons salaires, il faut se distinguer et s’adapter, sans toutefois sacrifier l’intérêt général au profit des intérêts individuels. Aussi, je parle d’individualisation contre l’individualisme, tant il me semble crucial de trouver cette ligne de crête qui permet de ménager le corps social, le lien social, la capacité à travailler ensemble avec une part de personnalisation. C’est à la fois du réalisme et du pragmatisme, et lorsque les dirigeants auront compris cela, la résistance au télétravail - et plus globalement à la personnalisation organisationnelle -, devrait fortement se réduire.

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