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« En 2024, il va falloir réinventer fortement la marque employeur au profit de l’identité employeur. »

Conséquences de quatre années de fortes embauches, mais aussi des attentes des candidats et des collaborateurs, Nicolas BOURGEOIS, Directeur Général d'identité RH et cofondateur du Think-Tank Néos dédié à l’avenir du travail, apporte son éclairage sur ce qui devrait animer le recrutement en 2024.

Publié le  29/01/2024

Quelles vont être les grandes tendances du recrutement en 2024 ?

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Nicolas Bourgeois : D’abord, les entreprises anticipent une diminution du marché de l’emploi de l’ordre de 10 %. Pour autant, il va rester en faveur des candidats. En 2023, en raison de leurs conséquents besoins en main-d’œuvre, certaines grandes entreprises ont beaucoup insisté sur ce qui leur semblait être leurs points forts : agilité, mobilité, promotion, etc. Et elles ont parfois enjolivé la réalité. Une fois recrutés, les collaborateurs ont découvert une organisation sclérosée, hiérarchique et en sont partis. En 2024, il va falloir réinventer fortement la marque employeur au profit de l’identité employeur.

« Grâce à l’identité employeur, l’organisation possède un point fort qui va attirer les candidats et les conserver. »


Comment met-on en œuvre cette identité employeur ?

N. B. : Elle n’est ni fantastique, ni facilement « marketable », et la démarche est complexe. Que ce soit le principe managérial, l’engagement sociétal, etc., il s’agit de mettre en avant non pas ce que les candidats veulent entendre, mais l’élément différenciant qui caractérise une entreprise, et bien sûr, tenir la promesse. Grâce à l’identité employeur, l’organisation possède un point fort qui va attirer les candidats et les conserver.

L’intelligence artificielle est-elle une tendance à surveiller en 2024 en matière de recrutement ?

N. B. : Tout le monde en parle, par exemple pour aller plus vite dans le « scanning » des CV, mais, il faut en limiter l’impact réel. Dans les ETI et PME, le déploiement est très faible. En revanche, au niveau de l’expérience candidat, il va y avoir des changements pour les recrutements de première embauche, en particulier pour les stages. Attractives, les 500 premières entreprises françaises reçoivent des tonnes de CV qu’elles traitent via l’intelligence artificielle ou pas, mais elles n’y répondent pas.
e nombreuses critiques et déceptions ont été exprimées sur les réseaux sociaux, dans les boucles des grandes écoles et des universités. L’effet est assez délétère. Ces entreprises perdent un vivier important car il y a peu de chances que ces candidats, qui sont aussi souvent leurs clients, renvoient un CV pour décrocher un emploi. Ensuite, et ce mouvement participe de l’ambiance générale, les grands groupes internationaux auront moins de bons candidats, car ils sont délaissés au profit de structures à taille plus humaine, avec du sens. Ils se rendent compte qu’ils doivent s’y prendre autrement avec ces recrutements de première embauche.

« Les seniors souhaitent un emploi qui favorise la prise en compte de leur expérience sans escompter multiplier leur salaire par cinq par rapport à un junior. »


Existent-ils d’autres tendances notables ?

N. B. : Aucun directeur des ressources humaines (DRH) ne la mentionne alors qu’elle entre en application en 2024, mais la mise en application de la loi Ferracci qui vise à lutter contre les discriminations va les percuter très fortement. Elle prévoit la réalisation de testing sur des enjeux d’inclusion et de diversité par un nouveau service créé au sein de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Ils vont être effectués auprès des grandes entreprises, puis élargis.
L’objectif dans un premier temps est d’accompagner. Mais à terme, la loi Ferracci prévoit de sanctionner les entreprises à hauteur de 1 % de la masse salariale, voire de 5 % en cas de manquement répété. Le dispositif s’inscrit aussi dans une logique de name and shame (nommer et dénoncer). Les organisations doivent s’y préparer en mettant en place un outil statistique identique à celui utilisé par la Dilcrah pour garantir un traitement non discriminatoire de leurs recrutements et mesurer leurs progrès. En parallèle, la loi sur la réforme des retraites a mis en évidence le travail des seniors et statistiquement, en 2024, les entreprises vont devoir en recruter plus. Mais elles ne sont ni prêtes, ni outillées. Elles doivent entrer dans une analyse de l’expérience plus que du diplôme, savoir négocier les salaires des seniors et adapter le dispositif de recrutement à ce qu’ils sont réellement aujourd'hui. Beaucoup d’organisations pensent qu’ils sont trop coûteux par rapport à leurs ressources. C’est un fantasme. Les seniors souhaitent un emploi qui favorise la prise en compte de leur expérience sans escompter multiplier leur salaire par cinq par rapport à un junior.

Vous avez évoqué des besoins moins importants en 2024 qu’en 2023, mais toujours avec des tensions. Quels vont être les secteurs concernés ?

N. B. : Toujours le bâtiment, la restauration, le transport, les soins publics et privés à cause du vieillissement de la population. C’est une niche, mais certaines entreprises du secteur de l’appareillage auditif ont de très importantes difficultés à recruter. Pour récupérer des postes, elles ont doublé les salaires en cinq ans. Après trois ans d’études, un audioprothésiste démarre à 4 000 euros net par mois. Ce sont des salaires d’entrée impressionnants.

« Les secteurs des énergies renouvelables et de la filière nucléaire tablent sur des recrutements extrêmement importants. »


De nouveaux secteurs vont-ils être en tension en 2024 ?

N. B. : Les secteurs des énergies renouvelables et de la filière nucléaire tablent sur des recrutements extrêmement importants. En 2023, ces acteurs se sont beaucoup structurés. Leur très forte logique d’anticipation dans leur business a été relayée dans leur pratique RH et leur politique de recrutement. De manière plus générale, les mutations liées à la transition écologique vont générer des gains d’emplois importants dans l’ensemble des secteurs d’activité et particulièrement ceux de l'agriculture biologique, de la gestion des déchets, de l’urbanisme durable, mais aussi de la gestion de l’eau qui, de manière très récente, s’est mieux structurée dans les filières de formation initiale.

Faut-il adapter les parcours de formation et professionnels ?

N. B. : Face aux enjeux de recrutement, les parcours de formation se doivent d’être plus simples, plus adaptatifs et plus rapides quand le besoin émerge. Au niveau du parcours professionnel, il existe une véritable crise de la promotion en France. Il faut adapter la mobilité en générant des flux pour garder les collaborateurs. La mobilité dans l’entreprise est beaucoup trop faible alors qu’elle est attendue par près de 90 % des salariés, que ce soit dans le secteur privé ou public.

Quelles sont les conséquences de cette crise de la mobilité ?

N. B. : Elle génère des frustrations, des insatisfactions au travail, donc une perte de motivation, un désinvestissement et un départ interne dans le sens où les gens sont moins investis dans leur travail. C’est une conséquence des importants recrutements de ces quatre dernières années : il faut créer des parcours professionnels dans lesquels la promotion ait sa place.

« C’est un enjeu assez fort de générer plus de promotion et d’être plus attentif à l'envie de chacun de progresser dans son métier ou d’en changer dans l’organisation. »


Comment crée-t-on cette mobilité ?

N. B. : Il faut raisonner entre les métiers, organiser les flux de départs tout au long de la carrière et pas seulement lorsque les plus anciens s’en vont. Et quand on est dans une société en croissance, normalement cette mobilité doit se faire toute seule, mais elle ne se fait pas. C’est un enjeu assez fort de générer plus de promotion et d’être plus attentif à l'envie de chacun de progresser dans son métier ou d’en changer dans l’organisation.

Après la flexibilité qui a caractérisé les années post-confinement, quelles pourraient être les aspirations des collaborateurs en 2024 ?

N.B. : Au-delà du recrutement, nous constatons que les entreprises définissent davantage leur organisation à partir des compétences. Les collaborateurs attendent moins de contrôle, plus d’autonomie et de responsabilité, y compris dans la banque, l’assurance, les mutuelles, l'ingénierie, les travaux publics, etc., alors même que les process peuvent être très contraignants. C’est un enjeu très fort pour les entreprises. Ce besoin d’autonomie et de responsabilité suppose une montée en compétences permise par les entreprises et engagée par les collaborateurs. Le rôle des managers est de les accompagner.

Avez-vous décelé une tendance nouvelle pour 2024 ?

N.B. : Elle est même très nouvelle : les entreprises vont être ravies de réhabiliter un poste has been (du passé) en RH, celui de gestionnaire de carrière. Il avait été mutualisé dans une fonction de RH de proximité très générale. Quelques secteurs – la banque, l’assurance, la mutuelle, le BTP ou la chimie et la cosmétique dans une moindre mesure – ont des gestionnaires de carrière au département RH ou dans les métiers, selon la taille de l’entreprise. Celles qui en ont en sont très satisfaites car le gestionnaire de carrière est en contact avec l’ensemble des salariés. Il s’en occupe avec le manager, ou à sa place s’il n’est pas disponible. Il travaille avec les collaborateurs sur leurs enjeux de mobilité de carrière en imaginant les parcours de demain. Or, comme je l’ai déjà évoqué, les collaborateurs souffrent aujourd’hui d’un manque de promotion et de visibilité. Ils veulent pouvoir se projeter. Les entreprises doivent anticiper leur besoin en compétences au niveau local à travers un accompagnement de l'appareil statistique de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et des opérateurs tel que France Travail.

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