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Télétravail : le rôle crucial du management de proximité
Pascal Ughetto est sociologue, chercheur au LATTS (Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés) et professeur à l'Université Gustave Eiffel. Depuis de nombreuses années, il suit de près les transformations de l'activité du travail et de son organisation. De quoi lui donner un point de vue particulièrement aiguisé sur ce qui se joue en ce moment pour les travailleurs, dans un contexte inédit de télétravail massif. Nous lui avons posé quelques questions, autour des enjeux actuels qui y sont liés, pour les entreprises et les salariés.
Publié le 15/04/2021
Nous lui avons posé quelques questions, autour des enjeux actuels qui y sont liés, pour les entreprises et les salariés.
Est-ce que le télétravail convient à tous les travailleurs ?
Cela ne convient pas à tous les travailleurs. Et ça peut convenir ou non à un individu, selon les différents moments de sa carrière. Avant le confinement, nous étions déjà dans une phase d’accélération du recours au télétravail. Pendant longtemps, il y a eu beaucoup de freins de la part de tous les acteurs au développement du télétravail, et nous étions plutôt dans une phase d’expérimentation prudente.
Le confinement est tombé, et tout le monde s’est trouvé obligé de rester chez soi, sauf pour certains emplois. Cela a été une expérience massive, qui a permis de mettre les managers de proximité devant le fait accompli, et devant l’observation que leurs équipes fonctionnaient mieux qu’ils ne pouvaient le craindre, en travaillant à distance. En France, traditionnellement les relations hiérarchiques sont fondées sur la défiance, et les managers ont, plus que dans les autres pays, tendance à considérer que s’ils n’ont pas leurs équipes sous les yeux, celles-ci ne travailleront pas.
Le confinement a accéléré le mouvement, il y a un avant et un après.
On s’est aperçu de deux choses. Durant le confinement lui-même, on s’est aperçu que ceux qui avaient le plus mal accepté le télétravail, étaient plutôt du côté des jeunes. Ça a été vécu comme une surprise par rapport aux idées reçues sur les « digital natives ». Ces jeunes dont on pensait qu’ils aimaient bien travailler de manière complètement libre, en ont souffert le plus.
Lorsque les mois ont passé, on a constaté que certaines entreprises voulaient faire revenir leurs salariés en présentiel. Et au fil du temps, ce qui est apparu plus nettement, c’est qu’en réalité, une autre force poussait au retour au travail, celle d’une part non négligeable de salariés, qui voulaient revenir au travail, au moins une partie de la semaine
Est-ce que dans le fait de vouloir revenir ou non au bureau, il y a un lien avec certaines inégalités entre les salariés en télétravail ?
Le télétravail n’est pas vécu de la même manière selon le logement que l’on occupe. Et la question de l’âge a aussi une influence. Si les jeunes ont moins accepté le télétravail que les plus âgés, c’est aussi parce que les jeunes ont plus tendance à être dans des petits logements, à l’étroit. Et au contraire, plus on vieillit et plus on a de chances d’avoir réussi à s’offrir une maison. Sans oublier bien sûr, l’incidence de la catégorie socioprofessionnelle.
Évidemment, les personnels qui ont tendance à vivre dans des logements exigus, où il est impossible d’organiser un espace réservé au travail, vont avoir davantage envie de revenir dans l’entreprise. Il y a un point qui n’est peut-être pas suffisamment souligné habituellement dans le débat, c’est que les salariés ont envie d’être dans des conditions de travail où ils peuvent se rendre productifs. Et pour ça, beaucoup considèrent que c’est dans l’entreprise que ces conditions sont réunies.
Et réciproquement. Quand on a des possibilités assez grandes de se constituer un espace où la frontière entre le personnel et le professionnel est bien réglée, où on ne se sent pas à l’étroit, et où on a de quoi travailler de façon confortable, alors, plus on a de télétravail, mieux on se porte. Et dans ce qui favorise cet attrait, il y a vraiment le fait de construire des rythmes de vie plus apaisés, avec également moins de temps de transports.
Et est-ce qu’à l’inverse, il risquerait d’y avoir des salariés qui souhaiteraient être à 100% en télétravail ?
C’est une des craintes importantes des entreprises. Une des raisons de cette volonté peut être qu’en réalité, ces comportements ne vont faire que révéler un climat de travail et des relations de travail extrêmement dégradées, ou des individus qui étaient déjà en train de vouloir quitter l’entreprise avec d’autres projets. Pour le reste, pour beaucoup de salariés, il y a plus l’envie d’avoir des rythmes de vie plus calmes, que pas du tout de présence au bureau. Pour ceux qui ne voudraient plus revenir du tout en entreprise, cela peut signifier que l’ambiance de travail, le climat de travail, les relations avec l’employeur notamment, sont trop dégradées. Il peut aussi s’agir de personnes extrêmement expertes dans leur domaine, et qui dans le fond, n’ont pas spécialement besoin d’avoir des relations très fréquentes avec leurs collègues, et n’en sont pas tributaires pour se sentir à l’aise dans leur travail. Elles vivent leur travail quasiment comme un travail d’indépendant. Mais les entreprises, elles, se posent énormément de questions sur le fait que les salariés, en restant éparpillés, perdent la créativité générée par les moments de rencontre informelle.
Est-ce que le travail de management va augmenter ?
Oui, ça va être un gros travail, notamment au moment de la mise en place des nouvelles règles. Il y a une vraie ingénierie du fonctionnement d’équipe au quotidien, qui ne peut pas être élaborée par un robot. Et on ne peut pas non plus laisser les individus en autonomie complète, car la dispersion des intérêts est telle que ça peut aller très rapidement vers des disputes incessantes, et compromettre la productivité d’ensemble.
Un autre aspect pour les managers, c’est la question de la transmission. Cela renvoie d’ailleurs aux raisons pour lesquelles les jeunes n’ont pas aimé le confinement et télétravailler. La caractéristique des jeunes est qu’ils manquent d’expérience. Ils ont donc besoin en permanence de poser des micro-questions et de se faire confirmer des points. Les managers de proximité doivent particulièrement penser que dans leur équipe, les gens sont plus ou moins experts dans les fonctions qu’on leur confie. A distance, ils sont quand même plus rapidement largués par rapport à la masse d’informations qu’ils ont besoin d’acquérir. Et si le management n’organise pas ça, cela ne se fait pas spontanément. Et ça peut créer des inégalités entre les plus experts et autonomes, et ceux qui auraient besoin de coprésence pour développer leur métier.
Enfin, il y a aussi la question du lien social car le travail est une des grandes occasions de nouer des liens sociaux dans la vie moderne. On peut le mettre en vis-à-vis avec le fait qu’il y a de plus en plus de gens soit isolés, soit divorcés, de célibataires, de gens qui vivent seuls. Le travail est crucial pour eux, parce que si on leur enlève le travail, ils n’ont plus de liens sociaux. Pour les autres, le problème est de diversifier leurs liens sociaux, et de ne pas être en permanence avec leur femme ou leur mari, et leurs enfants.
Oui, ça va être un gros travail, notamment au moment de la mise en place des nouvelles règles. Il y a une vraie ingénierie du fonctionnement d’équipe au quotidien, qui ne peut pas être élaborée par un robot. Et on ne peut pas non plus laisser les individus en autonomie complète, car la dispersion des intérêts est telle que ça peut aller très rapidement vers des disputes incessantes, et compromettre la productivité d’ensemble.
Un autre aspect pour les managers, c’est la question de la transmission. Cela renvoie d’ailleurs aux raisons pour lesquelles les jeunes n’ont pas aimé le confinement et télétravailler. La caractéristique des jeunes est qu’ils manquent d’expérience. Ils ont donc besoin en permanence de poser des micro-questions et de se faire confirmer des points. Les managers de proximité doivent particulièrement penser que dans leur équipe, les gens sont plus ou moins experts dans les fonctions qu’on leur confie. A distance, ils sont quand même plus rapidement largués par rapport à la masse d’informations qu’ils ont besoin d’acquérir. Et si le management n’organise pas ça, cela ne se fait pas spontanément. Et ça peut créer des inégalités entre les plus experts et autonomes, et ceux qui auraient besoin de coprésence pour développer leur métier.
Enfin, il y a aussi la question du lien social car le travail est une des grandes occasions de nouer des liens sociaux dans la vie moderne. On peut le mettre en vis-à-vis avec le fait qu’il y a de plus en plus de gens soit isolés, soit divorcés, de célibataires, de gens qui vivent seuls. Le travail est crucial pour eux, parce que si on leur enlève le travail, ils n’ont plus de liens sociaux. Pour les autres, le problème est de diversifier leurs liens sociaux, et de ne pas être en permanence avec leur femme ou leur mari, et leurs enfants.
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