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« Les « Mad skills » permettent de mieux adresser la complexité »

Les « Mad skills », ces « compétences folles » qui aident à se démarquer lors d’un recrutement font de plus en plus parler d’elles. Mais qu’en est-il de leur apport réel ? Comment les recruteurs et les candidats se les approprient-ils ? Professeur affilié à Sciences Po, Michel Barabel est l’un des premiers en France à s’être intéressé à ce nouveau concept venu des États-Unis. Rencontre.

Publié le  05/03/2020

Qu’entend-on exactement par « Mad skills » ?

Michel Barabel : Le concept de « Mad skills » est très différent de celui de « Hard skills » (savoir-faire) et de « Soft skills » (savoir-être). Il est apparu il y a quelques années dans les annonces d’emploi d’entreprises innovantes de la Silicon Valley. Il part de l’idée que les individus singuliers, qui ont des passions ou savent faire des choses de manière unique, peuvent développer des compétences utiles à l’entreprise ou renforcer son collectif. Et ainsi faire la différence sur le marché du travail.

Cet atypisme est aujourd’hui davantage valorisé par les recruteurs qu’il y a 30 ou 40 ans. Au XXème siècle, ce que l’on cherchait avant tout chez un collaborateur, c’est une adéquation à une norme, à travers des diplômes ou une capacité à répondre à des codes. Dans des économies mondialisées et hyperconcurrentielles, la singularité d’un individu est désormais davantage perçue comme un moyen d’adresser la complexité, au sein d’équipes plus hétérogènes. Face à l’avènement de l’intelligence artificielle, les « Mad skills » sont aussi un moyen pour les candidats de mettre en valeur des éléments différentiants dans des processus de recrutement qui vont être de plus en plus normalisés.

Avez-vous des exemples ?

Il est difficile d’établir des listes de « Mad skills », car celles-ci sont toutes différentes les unes des autres. Elles font de la personne qui les porte quelqu’un d’unique. On pourrait par exemple penser à un informaticien capable de coder 10 fois plus vite que la moyenne ou à un commercial qui maîtrise l’art de la prospection comme nul autre. Cela pourrait être aussi une personne qui aurait connu 10 vies professionnelles, un autodidacte ou encore quelqu’un qui se serait arrêté de travailler pour faire le tour du monde.

Les passions ou les hobbies, peuvent également s’apparenter à des « Mad skills ». Ils poussent eux aussi à exceller et amènent à développer des compétences bénéfiques à l’entreprise. Une personne qui aurait par exemple des activités de chef d’orchestre à ses heures perdues, pourrait très bien être vue par un recruteur comme un atout pour stimuler l’intelligence collective dans son entreprise ou pour amener un supplément de créativité.

Dans quelle mesure ces pratiques se diffusent-elles ?

Pour l’instant, les « Mad skills » ne se diffusent pas massivement dans le monde du travail, mais plutôt par endroit. Cela dépend de la nature de l’entreprise, de son contexte. Les start-up, où la nécessité d’innover représente un enjeu vital, accordent de plus en plus d’importance à la singularité et l’originalité de leur collaborateurs. Elles perçoivent leurs « Mad skills » comme un moyen d’augmenter leurs créativité et capacités d’innovation.

Cela reste moins vrai dans des secteurs plus traditionnels de l’économie ou encore dans la fonction publique, où le fait d’avoir une personnalité un peu plus « folle » peut être pratiquement éliminatoire ! Si les start-up sont des précurseurs dans ce domaine, le spectre pourrait néanmoins très bien s’élargir d’ici quelques années. Preuve en est, la DRH d’Airbus déclarait il y a peu vouloir davantage recruter des personnalités que des CV.

Cette lecture par les « Mad skills » présente-elle certaines limites ?

C’est un concept avec lequel il faut se montrer vigilant. Ce serait une erreur que de faire des « Mad skills » le premier critère de recrutement. A aucun moment elles ne doivent remplacer les savoir-faire et les savoir-être. Elles doivent les sublimer et permettre au candidat qui saura les mettre en valeur de se démarquer. Elles peuvent aussi l’aider à préserver son employabilité, dans un monde où les compétences se périment plus rapidement. Pour s’imposer dans un univers professionnel de plus en plus dur, il faut savoir travailler sur ses forces et ses passions. Ce sont elles qui poussent naturellement à exceller.

Je me montre assez réservé sur les « Mad skills », qui sont une sous-catégorie de « Soft skills ». A mon sens, c’est un effet de mode qui relève davantage du marketing. Ce concept ne correspond à aucun modèle scientifique. Rapprocher des hobbies de compétences particulières me semble quelque peu dangereux. Les recruteurs doivent éviter de faire des raccourcis intellectuels ! Imaginons, par exemple, un candidat qui joue au rugby. Est-ce que cela veut forcément dire, qu’il a l’esprit d’équipe ? Ce n’est pas toujours sûr. Il y a toutes sortes de personnalités dans ce sport. En revanche, si cette personne a déjà remporté des compétitions, cela peut éventuellement signifier qu’elle est combative et déterminée. Le rapprochement hobby/compétence doit se faire sur la base de réalisations tangibles, s’il est amené à être fait.


Directeur Innovation, Recherche & Prospective chez JobTeaser et auteur de « Les compétences au 21ème siècle », édition Dunod.

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